mercredi 5 octobre 2011

Le monde moderne et les Sept Tours du Diable




     Les légendes entourant les « Sept Tours du Diable » dont il est parfois question dans l'ésotérisme islamique est un sujet très peu connu en Occident, même par ceux parmi les orientalistes qui se sont pourtant fait une «spécialité» d'étudier l'Islam; à notre connaissance, il n'y a jusqu'à maintenant que trois occidentaux qui en ont parlé de façon plus ou moins détaillée: W.B. Seabrook dans son ouvrage Aventures en Arabie, René Guénon dans le compte-rendu qu'il donna de ce livre, et en dernier lieu Jean-Marc Allemand dans une étude entièrement consacrée à la question et qui s'intitule René Guénon & les Sept Tours du Diable. (comme on le voit, ces trois hommes sont reliés entre eux de différentes façons, chacun ayant repris, commenté et approfondi ce que son «prédécesseur» avait récolté et exposé sur le sujet).



     Il y a même un reportage filmé qui a été produit sur ce thème, et que l'on peut retrouver sur le site Dailymotion. Bien que ce reportage soit aussi superficiel et caricatural que possible, et qu'il a de plus le grave défaut qu'il semble entériner l'opinion somnambulique selon laquelle Oussama Ben Laden serait responsable des attentats du 11 septembre, il mérite néanmoins d'être vu au moins une fois afin de se familiariser avec la question. Voici les liens:



http://www.dailymotion.com/video/xfppch_les-7-tours-du-diable-1-2_news



http://www.dailymotion.com/video/xfpp22_les-7-tours-du-diable-2-2_news



Mais la source la plus fiable en même temps que la plus rigoureuse au point de vue intellectuel est sans doute le compte-rendu que René Guénon donna du livre de W.B. Seabrook, dont voici le passage qui s'y rapporte spécifiquement:


[...] Quant aux Yézidis, on en aura une idée passablement différente de celle que donnait la conférence dont nous avons parlé dernièrement dans nos comptes rendus des revues (numéro de novembre) : ici, il n’est plus question de « Mazdéisme » à leur propos, et, sous ce rapport du moins, c’est sûrement plus exact ; mais l’ « adoration du diable » pourrait susciter des discussions plus difficiles à trancher, et la vraie nature du Malak Tâwûs demeure encore un mystère. Ce qui est peut-être le plus digne d’intérêt, à l’insu de l’auteur qui, malgré ce qu’il a vu, se refuse à y croire, c’est ce qui concerne les « Sept Tours du Diable », centres de projection des influences sataniques à travers le monde ; qu’une de ces tours soit située chez les Yézidis, cela ne prouve d’ailleurs point que ceux-ci soient eux-mêmes des « satanistes », mais seulement que, comme beaucoup de sectes hétérodoxes, ils peuvent être utilisés pour faciliter l’action de forces qu’ils ignorent.
Il est significatif, à cet égard, que les prêtres réguliers yézidis s’abstiennent d’aller accomplir des rites quelconques dans cette tour, tandis que des sortes de magiciens errants viennent souvent y passer plusieurs jours ; que représentent au juste ces derniers personnages ? En tout cas, il n’est point nécessaire que la tour soit habitée d’une façon permanente, si elle n’est autre chose que le support tangible et « localisé » d’un des centres de la « contre-initiation», auxquels président les awliya es-Shaytân ; et ceux-ci, par la constitution de ces sept centres prétendent s’opposer à l’influence des sept Aqtâb ou « Pôles » terrestres subordonnés au « Pôle » suprême, bien que cette opposition ne puisse d’ailleurs être qu’illusoire, le domaine spirituel étant nécessairement fermé à la « contre-initiation »

     En ce qui concerne la nature des «influences» auxquelles se réfèrent Guénon, il s'agit incontestablement d'influences d'ordre psychique, et s'il les qualifie de «sataniques», c'est parce qu'elles sont destinées, de par leur caractère «dissolvant», à maintenir les hommes enfermés dans le domaine de l'illusion et à les entraîner vers des états infra-humains, dont la dernière étape ne peut être que la chute dans les états «démoniaques», qui constituent en quelque sorte le nadir des états inférieurs de l'être. Dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, René Guénon avait donné un aperçu aussi clair que précis au sujet de ces «influences»:




(La citation est un peu longue, mais elle doit être absolument reproduite dans son intégralité afin de bien saisir l'essence même du sujet)


« Quelque loin qu’ait pu être poussée la « solidification » du monde sensible, elle ne peut jamais être telle que celui-ci soit réellement un « système clos » comme le croient les matérialistes ; elle a d’ailleurs des limites imposées par la nature même des choses, et plus elle approche de ces limites, plus l’état qu’elle représente est instable ; en fait, comme nous l’avons vu, le point correspondant à ce maximum de « solidité » est déjà dépassé, et cette apparence de « système clos » ne peut maintenant que devenir de plus en plus illusoire et inadéquate à la réalité. Ainsi avons-nous parlé de « fissures » par lesquelles s’introduisent déjà et s’introduiront de plus en plus certaines forces destructives ; suivant le symbolisme traditionnel, ces « fissures » se produisent dans la « Grande Muraille » qui entoure ce monde et le protège contre l’intrusion des influences maléfiques du domaine subtil inférieur (1). Pour bien comprendre ce symbolisme sous tous ses aspects, il importe d’ailleurs de remarquer qu’une muraille constitue à la fois une protection et une limitation ; en un certain sens, elle a donc, pourrait-on dire, des avantages et des inconvénients ; mais, en tant qu’elle est essentiellement destinée à assurer une défense contre les attaques venant d’en bas, les avantages l’emportent incomparablement, et mieux vaut en somme, pour ce qui se trouve contenu dans cette enceinte, être limité de ce côté inférieur que d’être incessamment exposé aux ravages de l’ennemi, sinon même à une destruction plus ou moins complète. Du reste, en reste, en réalité, une muraille n’est pas fermée par le haut et, par conséquent, n’empêche pas la communication avec les domaines supérieurs, et ceci correspond à l'état normal des choses ; à l’époque moderne, c’est la « coquille » sans issue construite par le matérialisme qui a fermé cette communication. Or, comme nous l’avons dit, la « descente » n’étant pas encore achevée, cette « coquille » ne peut que subsister intacte par le haut, c’est-à-dire du côté où précisément le monde n’a pas besoin de protection et ne peut au contraire que recevoir des influences bénéfiques ; les « fissures » ne se produisent que par le bas, donc dans la véritable muraille protectrice elle-même, et les forces inférieures qui s’introduisent par là rencontrent d’autant moins de résistance que, dans ces conditions, aucune puissance d’ordre supérieur ne peut parvenir pour s’y opposer efficacement ; le monde se trouve donc livré sans défense à toutes les attaques de ses ennemis, et d’autant plus que, du fait même de la mentalité actuelle, il ignore complètement les dangers dont il est menacé.

Dans la tradition islamique, ces « fissures » sont celles par lesquelles pénétreront, aux approches de la fin du cycle, les hordes dévastatrices de Gog et Magog (2), qui font d’ailleurs des efforts incessants pour envahir notre monde ; ces « entités », qui représentent les influences inférieures dont il s’agit, et qui sont considérées comme menant actuellement une existence « souterraine », sont décrites à la fois comme des géants et comme des nains, ce qui, suivant ce que nous avons vu plus haut, les identifie, tout au moins sous un certain rapport, aux « gardiens des trésors cachés » et aux forgerons du « feu souterrain », qui ont aussi, rappelons-le, un aspect extrêmement maléfique ; au fond, c’est bien toujours du même ordre d’influences subtiles « infra-corporelles » qu’il s’agit en tout cela (3). A vrai dire, les tentatives de ces « entités » pour s’insinuer dans le monde corporel et humain sont loin d’être une chose nouvelle, et elles remontent tout au moins jusque vers les débuts du Kali-Yuga, c’est-à-dire bien au-delà des temps de l’antiquité « classique » auxquels se limite l’horizon des historiens profanes. A ce sujet, la tradition chinoise rapporte, en termes symboliques, que « Niu-koua (sœur et épouse de Fo-hi, et qui est dite avoir régné conjointement avec lui) fondit des pierres de cinq couleurs (4) pour réparer une déchirure qu’un géant avait faite dans le ciel » (apparemment, quoique ceci ne soit pas expliqué clairement, en un point situé sur l’horizon terrestre) (4) ; et ceci se réfère à une époque qui, précisément, n’est postérieure que de quelques siècles au commencement du Kali-Yuga.

Seulement, si le Kali-Yuga tout entier est proprement une période d’obscuration, ce qui rendait dès lors possibles de telles « fissures », cette obscuration est bien loin d’avoir atteint tout de suite le degré que l’on peut constater dans ses dernières phases, et c’est pourquoi ces « fissures » pouvaient alors être réparées avec une relative facilité ; il n’en fallait d’ailleurs pas moins exercer pour cela une constante vigilance, ce qui rentrait naturellement dans les attributions des centres spirituels des différentes traditions. Il vint ensuite une époque où, par suite de l’excessive « solidification » du monde, ces mêmes « fissures » furent beaucoup moins à redouter, du moins temporairement ; cette époque correspond à la première partie des Temps modernes, c’est-à-dire à ce qu’on peut définir comme la période spécialement mécaniste et matérialiste, où le « système clos » dont nous avons parlé était le plus près d’être réalisé, autant du moins que la choses est possible en fait. Maintenant (6), c’est-à-dire en ce qui concerne la période que nous pouvons désigner comme la seconde partie des Temps modernes, et qui est déjà commencée, les conditions, par rapport à celles de toutes les époques antérieures, sont assurément bien changées : non seulement les « fissures » peuvent de nouveau se produire de plus en plus largement, et présenter un caractère bien plus grave que jamais en raison du chemin descendant qui a été parcouru dans l’intervalle, mais les possibilités de réparation ne sont plus les mêmes qu’autrefois ; en effet, l’action des centres spirituels s’est fermée de plus en plus, parce que les influences supérieures qu’ils transmettent normalement à notre monde ne peuvent plus se manifester à l’extérieur, étant arrêtées par cette « coquille » impénétrable dont nous parlions tout à l’heure ; où donc, dans un semblable état de l’ensemble humain et cosmique tout à la fois, pourrait-on bien trouver une défense tant soit peu efficace contre les « hordes de Gog et Magog » ?

Ce n’est pas tout encore : ce que nous venons de dire ne représente an quelque sorte que le côté négatif des difficultés croissantes que rencontre toute opposition à l’intrusion de ces influences maléfiques, et l’on peut y joindre aussi cette espèce d’inertie qui est due à l’ignorance générale de ces choses et aux « survivances » de la mentalité matérialiste et de l’attitude correspondante, ce qui peut persister d’autant plus longtemps que cette attitude est devenue pour ainsi dire instinctive chez les moderne et s’est incorporée à leur nature même. Bien entendu, bon nombre de « spiritualistes » et même de « traditionalistes », ou de ceux qui s’intitulent ainsi, sont, en fait, tout aussi matérialistes que les autres sous ce rapport, car ce qui rend la situation encore plus irrémédiable, c’est que ceux qui voudraient le plus sincèrement combattre l’esprit moderne en sont eux-mêmes presque tous affectés à leur insu, si bien que tous leurs efforts sont par là condamnés à demeurer sans aucun résultat appréciable ; ce sont là, en effet, des choses où la bonne volonté est loin d’être suffisante, et où il faut aussi, et même avant tout, une connaissance effective ; mais c’est précisément cette connaissance que l’influence de l’esprit moderne et de ses limitations rend tout à fait impossible, même chez ceux qui pourraient avoir à cet égard certaines capacités intellectuelles s’ils se trouvaient dans des conditions plus normales.

Mais, outre tous ces éléments négatifs, les difficultés dont nous parlons ont aussi un côté que l’on peut dire positif, et qui est représenté par tout ce qui, dans notre monde même, favorise activement l’intervention des influences subtiles inférieures, que ce soit d’ailleurs consciemment ou inconsciemment. Il y aurait lieu d’envisager ici, tout d’abord, le rôle en quelque sorte « déterminant » des agents mêmes de la déviation moderne tout entière, puisque cette intervention constitue proprement une nouvelle phase plus « avancée » de cette déviation, et répond exactement à la suite même du « plan » suivant lequel elle s’est effectuée ; c’est donc évidemment de ce côté qu’il faudrait chercher les auxiliaires conscients de ces forces maléfiques, quoique, là encore, il puisse y avoir dans cette conscience bien des degrés différents. Quant aux autres auxiliaires, c’est-à-dire à tous ceux qui agissent de bonne foi et qui, ignorant la véritable nature de ces forces (grâce précisément encore à cette influence de l’esprit moderne que nous venons de signaler), ne jouent en somme qu’un simple rôle de dupes, ce qui ne les empêche pas d’être souvent d’autant plus actifs qu’ils sont plus sincères et plus aveuglés, ils sont déjà presque innombrables et peuvent se ranger en de multiples catégories, depuis les naïfs adhérents des organisations « néo-spiritualistes » de tout genre jusqu’aux philosophes « intuitionnistes », en passant par les savants « métapsychistes » et les psychologues des plus récentes écoles. Nous n’y insisterons d’ailleurs pas d’avantage en ce moment, car ce serait anticiper sur ce que nous aurons à dire un peu plus loin ; il nous faut encore, avant cela, donner quelques exemples de la façon dont certaines « fissures » peuvent se produire effectivement, ainsi que des « supports » que les influences subtiles ou psychiques d’ordre inférieur (car domaine subtil et domaine psychique sont pour nous, au fond, des termes synonymes) peuvent trouver dans le milieu cosmique lui-même pour exercer leur action et se répandre dans le monde humain. »


    Quand on parle du "Diable" à notre époque cela fait sourire bien des gens ou déclenche les sarcasmes, ce qui n'est pas étonnant quand on considère que dans l'imagerie populaire moderne, le Diable s'identifie à une sorte de "croque-mitaine" à la queue fourchue qui brandit un trident au milieu des flammes en regardant rôtir les âmes damnées, et il faut sans doute voir dans ces conceptions grossières une conséquence de l'influence prédominante exercée par les rationalistes, les psychanalystes et les psychologues qui ont tout fait pour "psychologiser" et "folkloriser" le Mal, ou encore en le ramenant à une notion entièrement individuelle et moralisante en le définissant comme "l'ensemble des choses méchantes et mauvaises que chaque homme porte en lui". La vérité, c'est que le Mal n'a rien à voir avec la morale, les mauvaises actions, non plus d'ailleurs qu'avec les contrats signés avec du sang, les messes noires, les sabbats de sorcières et autre puérilités du même genre. D'un point de vue traditionnel, le Mal véritable n'est pas d'ordre individuel mais supra-individuel et il est même, si on veut aller au fond des choses, "supra-cosmique" dans son essence même. (Il conviendrait en réalité d'employer plutôt les mots  "infra-individuel" et "infra-cosmique", et ce que nous avons dit plus haut de même que ce que nous dirons maintenant permettra de le comprendre).
    Au point de vue métaphysique, Le Diable c'est le Grand Diviseur, c'est-à-dire le principe de division, de désunion et de dissociation ( Di = deux = diviser et de able = pouvoir, être capable de ) , et qui a son reflet dans l'ordre cosmique dans les forces de répulsion et d'opposition. La plupart des gens sont également convaincus que le Diable est un concept strictement judéo-chrétien, ce qui est parfaitement faux puisqu'on le retrouve chez les noirs d'Afrique, les Iraniens, les Arabes, les Perses, les peuples nordiques, etc...
     On le retrouve même chez les Grecs de l'Antiquité, ce qui peut surprendre de la part d'un peuple qui fut considéré comme le peuple "rationnel" par excellence. Dans les doctrines théogoniques des anciens Grecs, la déesse Nyx (la Nuit) engendre par elle-même, sans le secours d'aucune autre divinité, un oeuf (l'Oeuf cosmique) dont la coquille finit par se fendre et duquel sortent alors un couple de jumeaux: Eros et Anteros. Eros, qui est l'Amour (l'Amour universel, et non l'amour sentimental et purement humain qui n'en est que le pâle reflet lunaire) et qui incite alors les dieux à s'unir entre eux et à avoir une descendance, donnant par le fait même naissance à l'Univers et aux douze dieux Olympiens. (Donc pour les Grecs, l'Amour était antérieur aux dieux, et même à Zeus Lui-même!). Si l'Amour est le principe d'union et d'harmonie, on peut facilement deviner à quoi correspond donc Anteros: l'Anti-Amour, ou si l'on préfère la Haine, donc le principe de désunion et d'opposition, ce qui l'identifie naturellement au Diable (qu'il faut se garder de confondre  avec Lucifer et Satan, qui sont des principes tout à fait distincts, et même distincts entre eux en fait). Il est encore possible d'établir un autre parallèle avec le mazdéisme: dans cette religion, qui fut celle des anciens Perses (qui habitaient...l'Iran), deux principes opposés se disputent la suprématie dans l'univers: Ahura Mazda, le dieu de Lumière, et Ahriman (ou Angra Manyu) qui incarne les forces noires ou les Ténèbres. Et les deux étaient considérés à leur origine comme...des frères jumeaux (l'un et l'autre étant issus de Zervané-Akérêné, en lequel ils sont supposés se confondre à la fin des temps). Cela fait décidément beaucoup de concordances pour des peuples dont l'univers spirituel était sans doute très différent...et rendre perplexes les historiens des religions qui ne voient que les divergences et les contradictions en toutes choses...

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